On a reproché cette comédie à Plaute comme une insulte envers une nation vaincue, car la seconde guerre punique venait de finir lorsqu’elle fut mise au théâtre ; mais il suffit d’une lecture impartiale pour faire tomber ce reproche, contre lequel d’ailleurs ont protesté plusieurs critiques. Non seulement le vieillard carthaginois qui figure dans la pièce n’est pas tourné en ridicule, mais il est représenté comme un honnête homme, un tendre père, cherchant depuis longues années, par tout pays, deux filles qui lui ont été ravies en bas âge, et qu’il retrouve, pures encore, dans la maison d’un marchand d’esclaves. Sans doute son costume et celui de ses suivants sont l’occasion de quelques plaisanteries, comme il arrive de tout costume étranger ; sans doute aussi, vers le dénouement, le poète lance un ou deux traits contre la foi punique ; mais qu’il y a loin de là à un parti pris de livrer à la risée de l’amphithéâtre un ennemi devant lequel les plus braves des Romains avaient pâli. Plaute n’a fait rien de tel ; mais, l’eût-il fait, il est douteux que les spectateurs l’eussent supporté.
Un reproche plus sérieux et mieux fondé, c’est celui qui porte sur le double dénouement. Le neveu dit Carthaginois, épris d’une de ses cousines dont il ignore la parenté avec lui, est tiré d’embarras par son esclave, qui vient à bout de perdre le marchand. La pièce semble donc finie, l’intérêt est satisfait, lorsque arrive le vieux père, et la reconnaissance forme en réalité comme une pièce nouvelle. Pour éviter ce défaut, il fallait que le vieillard contribuât au succès des amours de son neveu, et que la ruse de l’esclave et la reconnaissance, au lieu de se suivre simplement, fussent liées l’une à l’autre. Mais ce défaut est bien racheté par la charmante peinture du caractère des deux sœurs ; la noblesse de leurs principes, l’élévation de leurs sentiments, leur tenue pleine de décence malgré la coquetterie de l’une d’elles, offrent un contraste complet avec la honte de la situation où le malheur les a réduites. Plaute excelle autant dans ces caractères de jeunes filles chastes que dans ceux des courtisanes les plus éhontées.
Le Carthaginois n’a été, à notre connaissance, imité par aucun auteur moderne.